La chute de l’histoire

J’aime beaucoup mes trajets à vélo entre la maison et le boulot, parce qu’en soi, je les passe dans un monde un peu à part. J’ai toujours l’esprit qui vagabonde en fonction de ce qui se passe autour de moi, je pense vaguement aux choses que j’ai à faire, des fois je réfléchis vraiment à rien… Bref, c’est tous les jours une aventure différente.

Et donc ce matin, en traversant à vélo l’avenue des Vosges, je vois devant moi un père et son fils qui traversent, et papa qui démarre à toute vitesse, séchant son fils de 7 ou 8 ans sur place. Comme je dis, mon esprit vagabonde souvent, et s’attarde un peu sur cette idée du papa qui roule 50m devant son fils, moi qui ferme gentiment la marche, le petit faisant des zigzag, je me dis que c’est risqué de doubler, et puis bon, il fait l’effort de rouler vite pour rattraper son père, donc c’est pas comme si j’étais au ralenti. Bref, j’essaye d’imaginer ce qui passe par la tête du papa pour s’enfuir comme ça. au bout de 100m, il se retourne enfin pour voir où il en est, et il commence à ralentir pour que le fiston comble l’espace entre eux, et il continue de le regarder se rapprocher, doucement…

Et c’est probablement à ce moment là qu’il à du se rappeler que rouler à vélo en regardant derrière soi est une mauvaise idée. Il regarde devant lui, voit le jeune qui marche face à lui, le nez dans son téléphone, panique immédiatement, freine et tourne le guidon en même temps, assez pour que la roue parte à 90°, et il part en soleil par dessus le guidon. A ce moment là, la gamine en face de lui lève le nez et comprends qu’un adulte est en train de se prendre un gadin. Pour moi, c’est drôle, la scène se passe un peu au ralenti, je me souviens des autres gadins qui sont arrivés sous mon nez, je me souviens des miens, je pense au type qui roule derrière moi et qui avait l’air de vouloir me doubler, bref, je vagabonde encore un peu. Je m’arrête à côté du type pour lui demander si ça va, il me répond que ça va, j’insiste pas et je reprends mon chemin, je sais ce que ça fait de chuter en public comme ça, autant ne pas ajouter à l’humiliation en restant sur place à le regarder essayer de se dépêtrer de son vélo.

C’est 50m plus loin que j’ai réalisé que je me sentais un peu bizarre, et il ne m’a pas fallu longtemps pour me rendre compte que j’avais un peu les symptômes du type qui vient lui-même de se prendre une gamelle. La poussée de stress, les sueurs froides, cette petite sensation de calme après la tempête, plein de petits trucs comme ça… C’est pas vraiment nouveau que j’absorbe beaucoup de choses comme ça, mais probablement le fait que c’est le genre de chose que je redoute, et que j’évite souvent (bordel, ces jeunes qui marchent n’importe comment sans regarder où ils mettent les pieds…), mais là, sans trop y réfléchir, j’ai vraiment fait des associations dans mon subconscient. Un peu beaucoup d’empathie, et zou, me voilà en mode rescapé. Et pour le coup, j’y ai vu une certaine poésie.

Ca fait bizarre d’avoir beaucoup plus de recul sur cette empathie que j’ai toujours du mal à freiner, et avec laquelle j’ai souvent eu du mal. Et c’est une bonne chose, finalement.

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